Dernier avis rendu par la Mist

Contributions pour le Rapport sur « les pires formes de travail des enfants – faire le point du progrès et les défis restants », pour le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage auprès des Nations Unies. Élaboration du rapport du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, à la 60e session du Conseil des droits de l’homme.

Contribution n°1 : L’exploitation sexuelle des adolescent(e)s françaises en France n’est pas appréhendée comme une forme de traite des êtres humains.

Quelles pires formes de travail des enfants sont prévalentes dans votre pays ou votre région et comment elles se manifestent ? Quels sont les facteurs essentiels et les causes profondes des pires formes de travail des enfants dans votre pays ou votre région ? Quels groupes des enfants sont plus vulnérables aux pires formes de travail des enfants dans votre pays ou votre région (e.g. autochtones, minorités, migrants, les enfants en situation d’itinérance, les enfants en situation de handicap, les enfants de diverses identités de genre non conformes, et/ou les autres) ?

En France, l’Etat considère « qu’entre 7 000 et 10 000 mineurs sont concernés par la prostitution » et que « ce phénomène, présent sur tout le territoire, touche surtout les jeunes filles âgées de 15 à 17 ans, avec un point d’entrée dans la prostitution de plus en plus tôt, se situant entre 14 et 15 ans pour la moitié d’entre elles[1] ». Si nous observons que ces adolescentes sont exploitées dans le cadre de faits relevant de la traite des êtres  humains, cette qualification n’est jamais retenue par les tribunaux au profit du seul prisme prostituée/proxénète.

Causes profondes identifiées par notre association :

  1. Les proxénètes des adolescentes françaises sont généralement jugés pour proxénétisme aggravé, parfois en comparution immédiate (16% des dossiers de proxénétisme en 2023[1]), les clients ne sont quasiment jamais poursuivis. Le contexte français est marqué par un recours à la comparution immédiate qui a doublé en France depuis le début des années 2000[2]. Certains trafiquants de stupéfiants se tournent ainsi vers l’exploitation sexuelle des mineurs parce que cette activité criminelle est perçue comme plus lucrative et moins exposée aux sanctions pénales. Nous observons un sentiment global d’impunité et de banalisation chez les auteurs qui sont de plus en plus jeunes (la part de mineurs condamnés pour proxénétisme augmente de 7 points entre 2016 et 2022)[3]
  2. Les services français de protection de l’enfance ne sont plus opérationnels. En 2024, Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) rendait un avis en 2024[4] pour alerter sur « la crise systémique de la protection de l’enfance » : « la protection de l’enfance apparait comme un cas d’école de la non-effectivité des politiques sociales ». Nous observons que les enfants placés sous leur garde constituent désormais un groupe particulièrement vulnérable à l’exploitation sexuelle : le recrutement s’effectue souvent au sein même des foyers de l’Aide sociale à l’enfance par d’autres victimes devenues proxénètes, dans des contextes d’impuissance voir de banalisation de la part des professionnels – qui parlent par exemple de « fugues » au lieu de « disparations inquiétantes ».
  3. Les victimes souffrent de stigmate de la part de tous les acteurs (familles, société, professionnels) qui les considèrent souvent comme responsables voire coupables des violences qu’elles subissent. Souvent, elles préfèrent s’enfoncent dans la marginalité et l’exclusion pour échapper au jugement moral. Cela favorise leurs retours dans ces réseaux d’exploitation et le décrochage des structures d’aide. Nous observons des difficultés à se percevoir et à être perçues comme des victimes – notamment quant à la catégorisation « prostituées ».
  4. Beaucoup d’entre elles souffrent d’addictions, notamment au protoxyde d’azote, dont la consommation est largement utilisée par ceux qui le exploitent pour maintenir leur emprise. Ce gaz entraîne des dommages neurologiques graves, pouvant aller jusqu’à des paralysies irréversibles. Les conséquences sont telles que certaines victimes sont en situation de handicap. Or, comme le soulignait le rapport de la Cour des comptes sur la pédopsychiatrie en mars 2023[5] : « l’offre de soins psychiques est inadaptée aux besoins de la jeunesse », « l’offre est saturée », la feuille de route du Ministère de la santé mentale adoptée en 2018 « ne se fixe pas d’objectifs clairs et ne prévoit pas de calendrier de mise en œuvre », « les psychologues de l’éducation nationale sont souvent renvoyés vers des missions d’orientation scolaire » et « les professionnels libéraux méconnaissent encore trop les caractéristiques des troubles psychiques des enfants et adolescents et ne jouent donc pas suffisamment leur rôle de porte d’entrée dans le parcours de soins ».

Contribution n°2 : La participation des anciennes victimes est la seule manière efficace de surmonter le stigmate social dont souffrent les victimes.

Comment les familles et les enfants eux-mêmes collaborent pour adresser les pires formes de travail des enfants ? 

Les anciennes victimes jouent un rôle central dans la mise en place et l’application des mesures de protection, notamment à travers le travail de l’association Mist[7].

La Mist est un collectif de personnes ayant été victimes de traite des êtres humains qui se mobilisent pour promouvoir l’identification d’autres victimes, leur protection puis leur inclusion, dans un parcours leur permettant de valoriser leur expérience à leur tour dans le cadre d’espaces sécures, en tant que pair-aidantes, prenant part à l’action et à la gouvernance de l’association. Plus de la moitié du conseil d’administration et de l’équipe salariée est composée de femmes qui ont été victimes d’exploitation sexuelle et qui sont accompagnées dans un parcours continu de formation, d’analyse de la pratique professionnelle et de supervision.  

Les adolescentes victimes d’exploitation sont souvent peu informées, voire désinformées par des proches malveillants ou des prédateurs. Elles ont du mal à connaître et à comprendre leurs droits mais ne savent pas à qui s’adresser, sont souvent réticentes à parler à des professionnels en raison de la méfiance ou de la peur du jugement moral et de la stigmatisation. Pourtant, elles sont en grande souffrance psychologique, développent des troubles de stress post-traumatique, un état dépressif et anxieux, souvent des addictions et des pensées suicidaires.

La pair-aidance apporte une dimension humaine et empathique essentielle, en offrant un soutien direct et des conseils pratiques aux victimes et en favorisant l’identification et le signalement de cas d’exploitation sexuelle. Cette méthode de soutien mutuel permet aux victimes ayant vécu des expériences similaires de partager leurs connaissances et leur soutien avec celles qui traversent des situations comparables. Cette approche basée sur la confiance et la compréhension des réalités du terrain, s’inscrit dans un accompagnement sur le long terme favorisant l’orientation vers un hébergement sécurisant, un soutien psychologique, une assistance juridique, une insertion sociale et professionnelle. Cette approche holistique permet aux personnes de reconstruire leur vie et d’acquérir une autonomie durable.

Grace à leur expérience, les anciennes victimes participent aussi activement à la sensibilisation et la formation des professionnels (forces de l’ordre, travailleurs sociaux, magistrats, éducateurs). Cette implication permet d’améliorer la compréhension des mécanismes de la traite et de l’exploitation sexuelle, et d’adapter les politiques publiques en fonction des réalités vécues par les victimes.

Ces initiatives démontrent l’importance d’intégrer les victimes dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de lutte contre la traite des mineurs.


[1] https://www.info.gouv.fr/actualite/premier-plan-national-contre-la-prostitution-des-mineurs

[2] INFOSTAT Justice 198, octobre 2024

[3] https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-et-statistiques?categories%5B0%5D=392&items_per_page=10

[4] INFOSTAT Justice 198, octobre 2024

[5] https://www.lecese.fr/actualites/la-protection-de-lenfance-est-en-danger-le-cese-adopte-lavis

[6] https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-pedopsychiatrie

[7] www.mist-association.org


La Mist : une association spécialisée et innovante

 La Mist est un collectif de personnes ayant été victimes de proxénétisme ou de traite aux fins d’exploitation sexuelle qui se mobilisent pour promouvoir l’identification d’autres victimes, leur protection, puis leur inclusion, dans un parcours leur permettant de valoriser leur expérience en aidant d’autres victimes à leur tour.

Cette dynamique vertueuse s’appuie sur une méthodologie d’intervention sociale unique développée auprès des personnes victimes d’exploitation sexuelle. Elle vise à favoriser la création d’espaces leur permettant de parler d’elles-mêmes au sein d’un cadre évolutif, de s’autonomiser en prenant part à l’action et à la gouvernance de l’association, de travailler en faveur de la production de recommandations, d’un meilleur accès aux droits pour les victimes et de la lutte contre la banalisation de violences ou de phénomènes d’emprise au sein des groupes de paires.

Créée en janvier 2020 par une équipe pluridisciplinaire de professionnels déjà aguerris aux problématiques de la lutte contre la traite des êtres humains, la Mist est la première association de femmes victimes de traite en France : la moitié du conseil d’administration est constituée de femmes ayant été victimes de traite alors qu’elles étaient mineures.

Dès sa première année d’existence, un groupe de membres de la Mist constituées parties civiles, a remporté la plus grosse condamnation jamais rendue en France pour des faits de traite des êtres humains, et signait un partenariat avec le Barreau de Paris pour mettre en place un mode opératoire inédit sur un territoire de prostitution parisien, entre des médiatrices-pairs nigérianes et des avocats bénévoles du Bus Paris Solidarité.

La Mist est un pôle ressources pour les victimes et les professionnels qui les rencontrent et les accompagnent.

La Mist est enregistrée sur la liste des administrateurs ad hoc auprès de la Cour d’Appel de Paris et soutient ainsi les victimes mineur.e.s devant la justice.

L’association est le premier service orienteur de France du dispositif national Ac.Sé qui permet un éloignement des victimes en insécurité vers des mises à l’abri dans d’autres régions de France (décret n° 2007-1352 du 13 septembre 2007 relatif à l’admission au séjour, à la protection, à l’accueil et à l’hébergement des étrangers victimes de la traite des êtres humain).

L’association est membre de plusieurs groupes de travail nationaux dédiés à la traite er coordonnés par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF).

La Mist est membre de la Global Alliance Against Traffic in Women (GAATW), de La Strada International (LSI)  et du réseau Beyond Borders..

En mars 2023, les membres de la Mist ont contribué au Numéro 9 de la revue « Our Work, Our livres » de la GAATW intitulé : « Celebrating women leaders » ; ainsi qu‘à l’appel à contributions du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage : « Homeless as a cause and a consequence of contemporary forms of slavery ».

Association

Cette association a pour objet  :

  • De lutter contre la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle et de porter assistance à ses victimes, dans le cadre d’une action participative de santé communautaire 
  • De mener des actions de détection, d’identification, de mise à l’abri et d’assistance des victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitations sexuelle et de proxénétisme, majeures et mineures sans distinction de genre
  • De développer toute action sociale, juridique et administrative en rapport avec l’objet
  • De mettre en œuvre une méthodologie participative de santé communautaire et de médiation par les pairs afin de déterminer les objectifs et conduite des actions, leur évaluation ainsi que la communication des résultats, dans un cadre de partage des savoirs et des pouvoirs
  • De promouvoir la défense des droits des personnes victimes de traite des êtres humains, notamment en matière de santé, de protection et d’inclusion sociale, de lutte contre le racisme et toutes formes de discriminations et d’exclusion  
  • De promouvoir la santé des personnes victimes de traite des êtres humains, en favorisant l’implication des personnes dans une action collective, les dynamiques de changements et les transformations de normes par le groupe 
  • De promouvoir l’autonomie des personnes victimes de traite des êtres humains, notamment sur le plan économique, en favorisant l’éducation, la formation et l’accès au marché de l’emploi 
  • D’aider de quelque façon que ce soit les personnes qui souhaitent arrêter la prostitution
  • De porter assistance aux victimes en se portant partie civile si nécessaire auprès des juridictions nationales et européennes 
  • De passer des conventions ou accords avec des associations ou institutions poursuivant les mêmes buts

Équipe

La Mist est un lieu de promotion de l’action sociale participative.

La Mist accompagne les personnes victimes de traite des êtres humains et de proxénétisme qui souhaitent participer à la lutte contre ces phénomènes, de manière bénévole ou salariée, dans le cadre d’activités d’expertise (retours sur expérience, diagnostics, recommandations) ou d’assistance aux autres victimes (sensibilisation, information, accès aux droits, groupes de parole).

Les membres sont accompagnés et formés dans le cadre de parcours individualisés, par une équipe et un conseil d’administration pluridisciplinaire.

En 2023, la Mist compte 27 membres paires actives mobilisées dans la lutte contre a traite des êtres humains.

Les statuts de l’association imposent qu’au moins la moitié des membres du Conseil d’administration de la Mist soit constitué de membres pairs ayant été victimes de traite des êtres humains.

Les autres membres du Conseil d’administration sont aujourd’hui :

Sarah THEVENON, Secrétaire générale. Cheffe de service d’une plateforme d’accueil des demandeurs d’asile pendant dix ans. Elle a vu un nombre croissant de femmes nigérianes victimes de traite, parfois mineures, entrainées dans la demande d’asile par leurs trafiquants, ballotées dans les différents services et administrations sans être protégées ni même détectées par le système. Elle a largement participé au développement de la formation et de la mise en réseau des partenaires, dans le but de surmonter les nombreuses difficultés permettant à beaucoup de femmes nigérianes d’être mises à l’abri et protéger par l’asile. Elle soutient l’action en faveur des multiples défis encore à relever en matière d’identification, d’accès à la demande d’asile et de protection pour toutes les personnes victimes de traite, majeures et mineures, sans distinction de genre.

Clément SIBONY, Trésorier. Cinéaste, il a mis en place des projets de théâtre avec les femmes nigérianes à Paris, au sein duquel s’est développée progressivement une envie collective de s’investir dans la vie associative et la lutte contre la traite. Il développe aujourd’hui un projet cinématographique avec elles dans le but de rendre compte des enjeux de la libération de la parole individuelle et collective pour les femmes victimes de traite. Il soutient l’émergence et la mise en place de tous projets à caractère artistique ou socio-culturel au sein de l’association.

Marine THISSE, Administratrice. Avocate au Barreau du Val de Marne, elle est le conseil de femmes victimes de traite depuis une quinzaine d’années. Dans la demande d’asile, la procédure pénale ou les contentieux administratifs, elle les soutient dans l’accès aux droit et la mise en application des réglementations françaises et internationales qui les protègent. Elle travaille au développement d’une jurisprudence qui comprend leur parcours, obtenant ainsi le statut de réfugié pour les ressortissantes nigérianes originaires de l’Etat d’Edo et victimes de traite : http://www.cnda.fr/Ressources-juridiques-et-geopolitiques/Actualite-jurisprudentielle/Selection-de-decisions-de-la-CNDA/CNDA-24-mars-2015-Mlle-E.F.-n-10012810-C

Elodie APARD, Administratrice. Historienne de formation ; elle est chargée de recherche pour l’Institut de Recherche pour le Développement, à l’URMIS l’unité de recherche Migrations et société à l’université Paris cité. Elle a également dirigé pendant dix ans, l’Institut Français de Recherche en Afrique au Nigéria dans la ville d’Ibadan, où elle a coordonné plusieurs programmes de recherches collectifs sur la traite. Au sein de la MIST, elle est chargée de développer les échanges entre les membres de l’association et les chercheur.e.s africain.e.s – en particulier nigérian.e.s – afin de promouvoir des formes inédites de transmission des savoirs.

http://www.ifra-nigeria.org/former-research-programs/human-trafficking

http://www.ifra-nigeria.org/ongoing-research-programs/packing

Direction. : Vanessa Simoni

Développement : Aurélie Jeannerod,

Administratif et financier : Caroline Martin

Community organizer : Flora Enifo

Responsable de la vie associative : Juliet Omoruyi

Responsable de projet : Sarah Nweke

Chargée de mission Justice : Maud Pommier

Psychologue clinicienne, supervision des pratiques professionnelles : Caroline Legrez

Sociologue clinicienne et coach, accompagnement de l’équipe – ateliers vision, communication et inter-action : Anne-Claire Planté (épouse Lavigerie)

Psychologue clinicienne, supervision des pratiques professionnelles en collectif : Juliette  Lacau Denicola

Webmaster & Photographie : Tadzio