Verdict des Assises de Paris du 3 juillet 2020
Le 3 juillet 2020, Omos Wiseborn dit « Wisedom » a été condamné à 19 ans d’emprisonnement, ainsi qu’une interdiction définitive du territoire français, pour des faits de proxénétisme aggravé et traite des êtres humains aggravée, commis en bande organisé, sur des victimes mineures, transportées dans des circonstances les exposant à un risque de mort ou de blessures, contraintes de se prostituer à leur arrivée sur le territoire national, subissant des avortements forcés en dehors du cadre hospitalier.
Sa femme Myriam Wiseborn dite « Jennifer » ou « Titi » a été condamnée à 20 ans d’emprisonnement par contumace, elle fait toujours l’objet d’un mandat d’arrêt. Elle encadrait et surveillait la prostitution des jeunes filles dès leur arrivée en région parisienne.
La Cour a condamné le couple Wiseborn pour avoir organisé la traite d’au moins seize victimes identifiées, et ce depuis 2013, dont au moins cinq jeunes filles mineures identifiées, deux victimes ayant péri noyées en mer, et de les avoir contraintes à des avortements forcés et payants, amassant ainsi des profits conséquents.
La Cour a également condamné Blessing Ubi dite Nancy Brown à 14 ans d’emprisonnement et son conjoint Dennis BROWN à 12 ans, pour des faits de traite et de proxénétisme aggravés, ainsi qu’Emmanuel Osasuwa AIWANSOSA à 10 ans d’emprisonnement pour avoir pratiqué un avortement forcé.
La Cour a noté l’extrême gravité des faits, les conditions sordides dans lesquelles les victimes ont été exploitées, les pressions exercées sur leurs familles au Nigeria, les conditions de transport dangereuses, les menaces et les violences exercées sur les victimes, la surveillance et les pressions dont elles étaient l’objet.
Soutenues par la Mist dont elles sont membres, la majorité des parties civiles s’est rendue aux Assises pour réitérer leurs accusations et réclamer justice.
Le rôle d’Omos Wiseborn est apparu central pour la Cour, ce dernier agissant et usant de violences à la fois en France, en Italie et au Nigeria.
Omos Wiseborn est arrivé en Europe en 2012, il a obtenu le statut de réfugié en Italie avant de s’installer à Naples où il vivait avec sa compagne. Chanteur populaire de Benin City, il avait quitté le Nigeria quelques années plus tôt avant de vivre à Tripoli. Décrit par l’expert psychologue comme « un homme manipulateur, pervers, fuyant, sans empathie pour ses victimes », Omos Wiseborn a toujours nié les faits qui lui étaient reprochés depuis son arrestation en 2016 jusqu’au mercredi 1er juillet 2020 où, subitement, il s’est déclaré coupable deux jours avant le verdict sans toutefois sembler reconnaître la gravité des faits commis.
Les 29 et 30 juillet 2020, huit victimes ont relaté leur parcours devant la Cour.
Toutes originaires de Benin City, au Sud-ouest du Nigeria, elles ont expliqué leurs parcours, la manière dont elles ont été contraintes de se prostituer sous la menace de mort à Paris au bois de Vincennes, à Château Rouge ou aux abords de la rue Saint Denis et ce, dans le cadre de servitudes pour dette d’une trentaine de milliers d’euros.
La première plaignante est O. Agée de 15 ans, elle a été la première à se rendre à la Brigade de Répression du Proxénétisme de Paris en 2015, accompagnée par une ancienne victime devenue médiatrice. Elle raconte à nouveau devant la Cour sa traversée de la Mer méditerranée où, seule survivante féminine du naufrage d’un bateau de fortune, elle avait réussi, sans savoir nager, à rester accrochée dans l’eau à une corde avec ses mains et ses dents ; elle était alors âgée de treize ans. Partie de Benin City dans un groupe de neuf victimes transférées par Omos Wiseborn, elle a raconté comment, divisées en trois groupes de trois, elles avaient été réparties sur différents bateaux. Deux des jeunes filles, Blessing et Odion, périssant noyées en mer lors de cette traversée. Devant la Cour, trois autres victimes de ce groupe reviendront sur le cauchemar libyen, la violence de la police à Tripoli et notamment sur la violence des passeurs dans le désert : ils ont voulu abandonner la jeune O. qui s’évanouissait trop souvent, l’enterrant dans le sable à moitié consciente ; sans ses amies qui l’ont déterrée à plusieurs puis réanimée avec du glucose elle y serait restée pour morte. Toutes mentionneront les instructions d’Omos Wiseborn données par téléphone tout au long de ce mortel périple.
La Cour a également entendu J. trouvée par les policiers dans l’appartement du couple lors de l’arrestation d’Omos Wiseborn en mars 2016. Agée de seize ans au moment des faits, elle raconte comment elle a quitté le Nigeria en croyant venir faire des études en Europe, comment le couple Wiseborn l’a ensuite contrainte à se prostituer au bois de Vincennes alors qu’elle était vierge, comment enfin elle a été avortée de force et sans anesthésie dans des conditions sordides et alors qu’elle était enceinte de plus de trois mois, Omos Wiseborn exigeant qu’elle se taise pour éviter d’alerter les voisins.
Concernant leurs conditions de prostitution : toutes les victimes relateront le même mécanisme que J., les mêmes règles : une dette de 35.000 euros que l’on paye par tranche de 1000 euros par semaine en été, 800 euros par semaine en hiver, des frais de loyer, de nourriture et de vêture exorbitants pour dormir à plusieurs sur un matelas et porter des vêtements achetés au marché de saint Denis, des coups quotidiens portés par Omos Wiseborn, des menaces de mort contre elles et à l’encontre de leurs familles, des conditions de prostitution dangereuses sur la « Dark road » du bois de Vincennes sous la surveillance de Myriam Wiseborn, violente et intraitable, une interdiction de tomber enceinte mais pourtant des grossesses qui semblent récurrentes et qui font l’objet d’une pénalité de 3.000 euros et d’avortements systématiques par l’absorption forcée de dizaines de cachets de CYTOTEC, voire d’interventions « chirurgicales » en dehors du cadre hospitalier.
Pour échapper à ces avortements forcés, la jeune B. elle, raconte qu’elle a dû cacher sa grossesse au couple Wiseborn. Devant la Cour, elle explique comment elle a été accueillie en région parisienne par le couple à l’âge de douze ans. Absente du domicile lors de l’arrestation d’Omos Wiseborn en mars 2016 car elle avait été emmenée par Myriam à Toulouse pour gagner plus d’argent avant de s’enfuir et de se cacher pour finalement se laisser convaincre par une autre victime de se rendre à la Brigade de Répression du Proxénétisme, enceinte de six mois.
Plus tard, une autre partie civile explique les pressions exercées sur leurs familles à Benin City, et notamment comment sa famille a reçu la visite d’hommes de main en présence d’Omos Wiseborn. Elle raconte notamment que le taxi de son frère a été détruit, son avocate diffusant les photographies du véhicule sur les écrans de la salle.
Devant les jurés, la psychologue experte Delphine Guérard est également revenue sur les entretiens qu’elle a réalisés avec les parties civiles à la demande de la Juge d’instruction. Elle a décrit des jeunes femmes souffrant de traumatismes multiples, de la violence des différentes formes d’emprise exercées à leur encontre, des difficultés pour en parler ou pour les affronter, exercice encore très violent qu’elles surmontent au prix d’insomnies, de cauchemars, de migraines, autant de manifestations physiques éreintantes au quotidien qui constituent des freins réels à leur insertion comme au maintien de l’estime de soi. L’experte a estimé que toutes les victimes de ce dossier avaient besoin d’une prise en charge psychologique mais sans être forcément prêtes à l’engager sur le long terme, ayant besoin de se sentir d’abord en sécurité.
« I want to say something to the Court : yes I am guilty ».
“Je veux dire quelque chose à la Cour: oui je suis coupable”. Contre toute attente c’est sur cette phrase qu’Omos Wiseborn ouvre l’audience de l’après-midi du 1er juillet, soit deux jours avant le verdict.
Pendant plusieurs heures, celui qui niait les faits depuis son arrestation déroulera ainsi le même argumentaire que celui de la défense depuis le début de l’instruction : Omos Wiseborn se présente comme un homme contraint d’avoir hébergé des compatriotes sur les instructions d’une femme au Nigeria dont il serait également lui-même victime. Si deux jours avant le verdict il admet donc avoir organisé leur transfert et leur hébergement non pas pour les aider mais dans le but de les contraindre à la prostitution, il expliquera néanmoins que c’était sous la contrainte d’une dette qu’il aurait également contactée avec la même trafiquante que les victimes et alors qu’il cherchait à fuir la Libye : une certaine « mama Blessing » qui l’obligeait à organiser l’exploitation de jeunes filles pour honorer sa propre dette de 25.000 euros.
Suivant cette logique Omos Wiseborn reviendra méthodiquement sur chacune des déclarations des victimes, s’excusant pour avoir « détruit leur vie » mais niant ensuite une partie des violences exercées à leur encontre et se posant systématiquement comme victime lui aussi.
Sa parente Blessing Ubi dite Nancy Brown a été condamnée à 14 ans d’emprisonnement et son conjoint Dennis BROWN à 12 ans, pour des faits de traite et de proxénétisme aggravés.
Le couple BROWN a hébergé à leur domicile au moins six victimes acheminées par Omos Wiseborn, dont une mineure. Trois victimes présentes au tribunal ont décrit leurs conditions de vie ainsi que le contexte de violence du proxénétisme et de la prostitution auxquels elles étaient soumises. Blessing UBI dite Nancy BROWN faisait notamment usage de violences physiques quotidiennes sur les victimes, et ce en présence même de ses trois propres filles alors âgées de 3 à 8 ans.
L’enquête a mis en évidence des appels téléphoniques entre Blessing UBI dite Nancy BROWN et des interlocuteurs au Nigéria ayant pour objet d’exercer des pressions sur les familles des victimes récalcitrantes. Après l’arrestation d’Omos Wiseborn, elle s’est notamment procurée la liste des plaignantes auprès de l’ancien conseil d’Omos Wiseborn, afin d’orchestrer des représailles.
Blessing UBI a expliqué devant la Cour qu’elle avait été également victime de traite et qu’aînée d’une famille pauvre de Benin City, elle avait elle-même été transportée en France par une tante avant d’être soumise à la prostitution. Mariée avec un ressortissant français dont elle était veuve depuis le suicide de ce dernier, elle s’est ensuite remariée avec Dennis Brown avec qui elle a eu trois filles. Ayant tous les deux des casiers judiciaires vierges ils travaillaient comme femmes de chambre dans le même hôtel parisien. Au regard de leur bonne situation d’insertion à tous les deux, la Cour a estimé que leur activité de proxénétisme n’a été orchestrée qu’a des seules fins vénales.
Pendant tout le procès, son conjoint Dennis BROWN a maintenu avoir toujours ignoré les activités de proxénétisme de son épouse. Au regard notamment de la taille exigüe de leur appartement, la Cour a estimé qu’il était impossible qu’il puisse ignorer ce qui se passait sous son propre toit et notamment les violences physiques exercées sur les victimes à son domicile en présence de ses trois filles. Les trois victimes présentes au tribunal ont par ailleurs toutes formellement déclaré avoir remis l’argent de leur prostitution directement à Denis Brown lorsque sa femme était en voyage.
La Cour a également retenu que Dennis Brown s’est rendu au Nigeria à plusieurs reprises et qu’en amont d’un de ses voyages, une conversation téléphonique entre sa femme et une interlocutrice au Nigéria faisait état de l’intérêt de sa présence physique au temple lors de la convocation de la famille d’une des victimes récalcitrantes, afin de placer celle-ci dans un état de « terreur ».
Emmanuel Osasuwa AIWANSOSA dit « le docteur » a été condamné à dix ans d’emprisonnement et une interdiction définitive du territoire français.
Si pendant toute l’instruction, Emmanuel Osasuwa AIWANSOSA avait constamment nié avoir pratiqué des avortements sur des jeunes femmes, et notamment sur la jeune mineure J. présente au tribunal, il reconnait spontanément les faits la concernant dès le premier jour du procès.
Devant la Cour, la jeune O. a relaté qu’Emmanuel Osasuwa AIWANSOSA s’était rendu au domicile du couple BROWN en septembre 2015 et en présence du couple WISEBORN et ce afin de pratiquer un avortement contre rémunération sur la jeune J. présente à leur domicile. Elle relate également avoir été témoin d’un autre avortement pratiqué par ce dernier sur une autre jeune femme alors enceinte de sept mois (cette jeune femme n’a pu être retrouvée par les enquêteurs à ce jour) et qu’une petite fille était née lors de cette intervention puis qu’elle avait été asphyxiée par Emmanuel Osasuwa AIWANSOSA avant d’être jetée dans un sac poubelle sur une voie ferrée proche du lieu.
La Cour retient que l’avortement pratiqué sur la jeune J. aux moyens d’une pompe à vélo et de ciseaux de cuisine a bien été réalisé de manière forcée, celle-ci ayant explicitement dit qu’elle ne le désirait pas. Les examens du médecin gynécologue expert ont confirmé des éléments allant dans le sens de la contrainte ; il a ajouté que le consentement de la victime n’est en réalité pas en question la jeune J. étant alors âgée de 14 ans et soumise à des proxénètes depuis un an dans un contexte de menaces quotidiennes : un avortement dans de telles conditions ne pouvait être consenti.
La Cour a condamné Emmanuel Osasuwa AIWANSOSA pour pratique de l’interruption de grossesse sur autrui en dehors des conditions légales et interruption de grossesse pratiquée sur autrui sans son consentement. La Cour a noté les conditions d’hygiène inexistantes : la jeune J. ayant été allongée par terre sur des sacs poubelles étalés à même le sol dans la chambre des enfants Brown.
La Cour considère qu’Emmanuel Osasuwa AIWANSOSA est bien membre à part entière de cette bande organisée, qu’il est un rouage de ce réseau criminel de traite des êtres humains puisqu’on faisait appel à lui pour réaliser des avortements lorsque le seul usage de dizaines de cachets de CYTOTEC était inefficace. Recevant par ailleurs des mandats d’argent de la part d’une des victimes, la Cour considère qu’il ne pouvait ignorer qu’elle se prostituait. Résident italien il affichait sur sa page Facebook l’image d’un appareil génital féminin que la Cour considère comme étant l’affichage promotionnel d’une activité habituelle.
Presse
- 05.07.2020, Le Monde : Sur les trottoirs de Paris, des jeunes Nigérianes victimes de la cruauté de leurs proxénètes, par
- 01.07.2020, France Inter : Kate, survivante de la traite nigériane : « Je suis fière d’être debout aujourd’hui pour raconter tout ça »